Red Pill, chroniqueuse du Garage, nous présente Female pleasure. Documentaire réalisé par la Suissesse Barabara Miller, il présente l’histoire de 5 femmes issues de milieux diverses et variés.

Je suis allée voir au cinéma il y a quelques semaines le documentaire « Female Pleasure », réalisé par la suissesse Barbara Miller. En ressortant de la séance, l’envie m’a prise d’inviter toute personne sur mon chemin à aller voir ce film. Ce qu’il transmet à son public m’a paru d’une importance primordiale pour comprendre les enjeux de la libération sexuelle des femmes. Il permet en effet de se rendre compte du contrôle presque invariable sur le corps féminin des sociétés patriarcales, fondé souvent dans les religions.

Dans ce long-métrage est détruite également l’illusion répandue d’une inégalité entre les genres qui ne serait que l’apanage des décennies passées et des contrées lointaines à l’Occident. Pour ce faire, la réalisatrice suit cinq femmes de cinq nationalités, cultures et religions différentes, abordant ainsi plusieurs thématiques encore bien actuelles, comme le mariage forcé, la censure, le viol, l’ignorance, l’excision, ou encore le harcèlement sexuel.

Le montage parallèle, choisi par la réalisatrice pour que l’on découvre progressivement tous les récits côte à côte, permet de créer des liens entre les histoires de ces femmes, en réalité très éloignées les unes des autres, en démontrant globalité de la problématique. Cette construction donne aussi un début et une fin qui s’appliquent à l’ensemble. On commence par constater la réalité brutale des violences subies, et on termine par un regard d’espoir sur l’avenir au travers des actions concrètes de chacune.

Le documentaire alterne entre images d’illustration, scènes de reportages, et interviews. Dans ces prises de parole face à la caméra, si nous voyons principalement les héroïnes raconter leur histoire et défendre avec ferveur les causes pour lesquelles elles se battent, nous voyons aussi leur épuisement à le faire, notamment quand l’une d’elles s’arrête, et avoue avoir l’impression de s’exprimer en vain, sans que rien ne change. Les temps de silence, qui sont laissés dans le montage, sont particulièrement frappants car ils nous permettent de saisir ce que ressentent ces femmes, dans des plans où il nous semble les voir entrer en introspection et oublier la caméra. Ce choix de la réalisatrice de nous montrer les moments où l’interview est coupé et quand personne ne parle nous permet de capter des détails essentiels pour comprendre ces femmes.

Si le visionnage de ce documentaire peut se révéler difficile lorsque les protagonistes témoignent des violences dont elles ont été victimes, il insuffle surtout de l’espoir quand il nous fait découvrir comment elles agissent courageusement pour changer les mentalités et avancer vers un futur plus égalitaire. Le film se focalise sur le vécu de femmes, mais s’attache à nous faire comprendre combien les hommes sont concernés, ayant tout à gagner d’une libération sexuelle de leurs congénères. Il paraît alors clair que ce combat ne doit pas seulement être celui des femmes pour les femmes, mais doit concerner l’ensemble de l’humanité, faisant appel au respect des droits de l’Homme.

Une scène dans ce sens m’a particulièrement marquée. Leyla Hussein, activiste pour l’intégrité physique et l’autodétermination sexuelle des femmes musulmanes, montre à de jeunes hommes ce qu’est l’excision en découpant et recousant les parties d’un modèle très agrandi de vulve en pâte à modeler multicolore. Cet acte est si brutal qu’il nous paraît inconcevable que cette violence soit réellement infligée à des petites filles au nom de la tradition. De manière très visuelle et didactique, nous sommes confrontés à une réalité horrifiante qui concerne actuellement 200 millions de femmes dans le monde. La prise de conscience est inévitable.

Je me suis alors dit que ce film, à l’image de cette leçon sur l’excision, pouvait instruire et éduquer ceux qui le visionnent. En étant face à ces violences, par des faits et des témoignages, il n’est plus possible de se conforter dans l’ignorance. Ce genre de film est important pour une prise de conscience dans les sociétés, et pour aider à changer les mentalités.

Cependant, lorsque j’en ai parlé autour de moi, j’ai pu noter quelques constats. Le plus frappant, les personnes qui ont déjà vu le documentaire, ou qui souhaitent le faire, se trouvent être majoritairement celles qui sont les plus sensibilisées aux problématiques abordées dans le film. Je fais d’ailleurs entièrement partie de cette catégorie, m’étant rendue au cinéma en connaissant pertinemment les atrocités auxquelles j’allais être confrontée.

Et si cette observation s’explique assez logiquement par le fait que l’on s’intéresse plus facilement à ce que l’on connaît et ce qui nous touche, je me suis quand même demandée si, dans le cas de ce documentaire, il ne serait pas justement plus pertinent que ce soit les personnes les plus ignorantes du sujet qui soient amenées à le voir. Mais comment espérer atteindre ce public quand on sait que le Suisse ne va en moyenne même pas deux fois par année au cinéma (contre quatre pour nos voisins les Français), et que les films qui obtiennent les plus d’entrées sont les fictions, que ce soit les blockbusters américains ou les comédies françaises ?

Et le cinéma helvétique étant principalement un cinéma documentaire, on comprend la méconnaissance des citoyens sur leur septième art national. Surtout qu’au vu du prix des places, s’asseoir devant la toile dans notre pays est un divertissement coûteux, et peu prennent de risques dans leur choix de film. Ainsi, comme un pari, à l’heure de choisir, nous nous penchons plutôt sur les œuvres qui risquent le moins de nous décevoir, et qui sont ouvertement populaires.

Alors quels sont les chances pour un film suisse, documentaire, qui en plus s’affiche comme féministe ? En effet, rien que par son titre en hashtag, ledit film s’inscrit dans la continuité de #MeToo et reprend sur son affiche les codes visuels d’un féminisme activiste, avec l’image du poing en l’air. Cela ne m’a évidemment pas dérangée, mais il est clair que les personnes qui sont agacées par la force de la vague post Weinstein ou qui peinent simplement à rester attentives tant le débat fait de bruit, ne vont pas être les premières attirées par ce genre de visuel, qui a plutôt tendance à confirmer leurs aprioris.

D’autant plus si la seule personne qui nous a conseillé d’aller voir « Female Pleasure » se trouve justement être notre amie bobo gauchiste féministe lettreuse bien-pensante. Le dernier film d’action hollywoodien semble être un choix bien plus divertissant et confortable. Attendront alors la prise de conscience qui peut potentiellement libérer la moitié de l’humanité et la reconnaissance méritée d’un cinéma helvétique trop discret.

Cette chronique a été rédigée par Red Pill ,  jeune étudiante en Lettrologie, issue de la ceinture d’astéroïdes Lozane.  Red Pill fait partie des chroniqueurs.ses contactés par le Garage au vue de missions de haute importances.