C’est à São Paulo, vibrante capitale culturelle et économique du Brésil, que nous avons eu la chance de rencontrer Alexandre Tahira, plus connu simplement sous le nom de Dj Tahira. C’est après un set truffé de sonorités exotiques, voir transcendantes dans un bar du quartier populaire de la Barra Funda, que nous fûmes incontestablement conquis par son univers qui donne écho aux réelles traditions de son pays. Rencontre avec un chineur d’exception de la musique brésilienne parfois oubliée, qui lui a déjà valu la reconnaissance des plus grands  Montreux Jazz, Boiler Room ou encore Glastonbury.

Un après-midi gris et pluvieux, des embouteillages interminables à travers une jungle de buildings, voilà à quoi ressemble le chemin pour arriver au rendez-vous fixé l’heure auparavant par nos paires et Tahira. Après quelques minutes d’attente dans un bar à la sortie de l’arrêt de metro Vila Mariana, il arrive l’air décontracté. Une discussion informelle s’entame sur nos passions communes « a musica raiz ».

Crédit Gabriel Quintão
  • Depuis quand es-tu DJ ?  Qu’est – ce qui t’as poussé à chiner les musiques traditionnelles et les passer en soirée ?


«  Je joue depuis un peu plus de 20-25 ans mais je ne jouais pas de musique brésilienne au début. J’ai vraiment commencé avec de la house comme beaucoup de jeunes de ma génération. Ça passait à la radio, tu commences à écouter, tu t’intéresses et c’est parti. J’en ai joué un bon moment, 6-7 ans environ, surtout à São Paulo.

Ensuite, est apparu un mouvement en europe appelé Acid Jazz à la fin des années 90. Je n’aimais pas vraiment la musique brésilienne à l’époque mais l’Acid Jazz mélangeait pas mal de soul, de Rnb, de funk et des musiques africaines et latines dont je n’avais pas particulièrement de connaissances à l’époque.

Avec l’Acid Jazz j’ai commencé à mieux comprendre et apprécier ces styles-là. Je me rappelle que des gars de l’acid Jazz avaient samplé une musique de Orlandivo – Onde anda meu amor qui est un chanteur de bossanova de Rio.

Je faisais partie d’un forum sur internet où on se partageait des musiques et un gars a découvert que j’étais de SP. Il m’a contacté me disant qu’il adorait la musique brésilienne et m’a demandé si je pouvais lui acheter des disques et les lui envoyer.

J’ai pensé au côté financier au début, je lui achetais ses disques et je me faisais une commission dessus, c’était parfait.

Je me suis donc demandé pourquoi il aimait tant notre musique et pourquoi il voulait que je lui achète tous ces disques. J’ai commencé à m’intéresser, à de plus en plus en écouter et finalement j’ai tellement aimé que j’ai fini par lui dire que je ne trouvais pas ce qu’il voulait et j’ai tout gardé pour moi (rires).

C’est là que j’ai appris à écouter la musique brésilienne, ‘’un gringo’’ m’a appris à écouter la musique de chez moi, c’est pas incroyable ça ?

 

  • Comment ces musiques t’étaient inconnues alors qu’elles sont apréciées à l’autre bout du monde ?


Ouais c’est dur à s’y faire, mais tu sais pourquoi ? À cette époque des années 90, la radio ne passait que des sons vraiment galères, elles passaient beaucoup de rock national, un style que je n’aimais pas du tout. On avait de mauvaises références. On se disait, la musique brésilienne c’est ça ? Je n’étais pas fier de ce qu’on faisait ici.

Mais le gars du forum m’a fait découvrir le plus fin, les meilleures musiques de chez nous, des influences de jazz et bossanova. Là je me suis rendu compte qu’on avait une richesse musicale incroyable.

À partir de là, j’ai eu une bonne image de la musique brésilienne, c’était mon premier vrai contact avec elle. J’ai commencé à chiner des djs qui passaient ce genre de son, il y en avaient peu ici mais outre-mer beaucoup déjà, comme les gars du shop Souljazz à Londres. Depuis, j’ai commencé à imaginer ces musiques en soirée.

C’est vraiment depuis 8-9 ans que j’ai commencé à faire ma propre sélection, surtout sur les sonorités afros et indigènes. Finalement, j’en avais un peu marre de la house. Ces nouvelles sonorités m’ont permis de renouveler mes sets.Il y a eu comme une nouvelle vibe où beaucoup de monde passait ces styles de musique depuis que j’ai commencé. On s’est rendu compte de ce qu’on avait sous la main et à quel point c’était unique.

Je te donne mon avis : la musique africaine et sud américaine est incroyablement riche. Bien plus que la musique américaine. La quantité de styles, de rythmes de ces régions et le nombre d’artistes encore à découvrir, on imagine même pas.

Rien qu’au brésil, pour te donner une idée, j’ai fait une recherche ; il n’y a pas de nombres exact mais il y aurait plus de 30 styles distinct, j’en passe combien en soirée, 3-4 ? Il y a énormément à découvrir encore.

Le problème est que notre musique folklorique a été complètement oubliée des grandes radios et maisons de disque. Ils n’ont pas enregistré des artistes qui ont alors dû perpétuer leurs traditions de bouche à oreille, de père à fils. Certains ont été enregistrés mais la plupart non malheureusement, c’est terrible. Beaucoup de choses se sont perdues mais au moins les paroles et mélodies se sont maintenues par voie orale.

Maintenant, certaines maisons de disques se rendent compte qu’il faut donner voix à ces grands musiciens sinon leur culture va mourir avec le temps. Ils ont quoi, 80 ans ? Et ils sortent leurs premiers disques.

Crédit Gabriel Quintão
  • On se rend compte qu’on finit par négliger notre propre culture

Oui c’est clair, certains de nos grands artistes n’ont pas la reconnaissance qu’ils méritent.

Mais heureusement certaines personnes sont entrain de changer ça, comme DJ Tudo. Et ce genre de chinage va au-delà des disques, vu qu’il n’y en a pas. Il faut les rassembler et les enregistrer en live.

De nos jours avec internet on est plus trop dépendants de ces grandes maisons de disque. On peut faire ces choses nous même. Ça nous donne de la liberté.

  • J’ai vu que t’as sorti dernièrement une compilation « Levanta Poeira » mettant en valeur la musique afro. 

Oui je me suis beaucoup intéressé aux sonorités afro, je trouve que ce sont des styles encore trop ignorés pour moi et il y a beaucoup à en tirer.

En Europe les personnes associent beaucoup la musique brésilienne au jazz, mais si on regarde d’un point de vue historique c’est juste un style qui a été absorbé par des musiciens brésiliens. Si on regarde les racines c’est de la musique qui vient des indiens et des esclaves, il n’y a rien qui vient du jazz. Si on regarde le forró par exemple qui est typiquement brésilien il vient de sonorités africaines. Souvent les gringos se demandent d’où vient le forró, ils ne l’associent pas au brésil.

Cf. Hermeto Pascoal – Forró pela Manhã 

Cette compilation est pour moi un moyen de montrer que la musique brésilienne n’est pas que la samba et les musiques de carnaval que la tv nous montre. Le Brésil c’est ça aussi, mais c’est bien plus. Il faut casser ces stéréotypes et montrer d’où on vient vraiment. Montrer comme notre culture est riche, que ce soit les célébrations traditionnelles, la culinaire, les danses, les habits.

Après, pas tout le monde n’est pas intéressé à comprendre profondément la culture brésilienne mais un travail doit être fait à ce niveau là et ça prend du temps. Je le fais avec ma compilation et d’autres le font aussi de leur coté. J’imagine que ça va s’améliorer, les brésiliens se rendent compte de ça et commencent à se manifester.

Hier j’ai discuté avec un des gars de Boiler Room. Et on a parlé de ça, le Brésilien doit redécouvrir sa culture car il ne la connaît pas vraiment finalement.

Pourquoi les djs ont commencé à jouer du son brésilien ? Madlib  et J Dilla ont commencé à sampler pour le hip hop, Ian Pooley pour la house, beaucoup de dj de disco et voilà la prise de conscience était générale ici.

C’est triste que ça vienne de l’extérieur. Mais ça dérange et ça nous fait prendre conscience du problème. Le rôle du ‘’gringo’’ a été important à ce niveau là.

Mais l’avenir est prometteur, nous avons d’excellent jeunes artistes qui vont faire valoir notre culture. »

Goûte à présent au set chamanique que Tahira a spécialement concocté pour le Garage :

Crédit F.Iroz